29 septembre 2003
négligences
manu, tu négliges ton blog
Voilà sûrement la réplique du mois. On me l'a répétée des dizaines de fois, et c'est toujours pareil. Je commence par me dire qu'ils ont raison, tous ces gens, qu'il faut que j'écrive un billet. Même un petit. Oui mais alors un tout petit. Parce que bon, j'ai un emploi du temps de ministre, faudrait voir à pas l'oublier. De ministre qui passe ses weekend à lézarder, soit. Mais de ministre tout de même. Après tout, les lézards ont aussi le droit de se laisser gouverner.
Poussé par une saine motivation, je me plante alors devant mon écran - je le regarde droit dans ses yeux d'elfe noire maquillée de rosée, et je me concentre. J'ai sûrement un super truc à dire, un avis sur un point noir de l'actualité, sur l'acnée du monde. Pour me motiver, je fais le tour des blogs, en commençant par la nébuleuse, puis en élargissant, en cercles concentriques, à toute la blogosphère française. Mondiale. Universelle. Je tourne plus vite que la planète, en dix minutes, je dévore les mots, les images, et les calembours de dek\ ; j'ai la tête pleine d'histoires, mais je pense toujours à autre chose. Je retombe alors inévitablement sur blog out. Ou sur mon lit.
Là, mon euphorie retombe comme un soufflé, et je me dis que la devise de Pierre Carion s'applique décidément bien mal à mon propre cas. N'avoir rien à dire me parait vraiment la meilleure des raisons pour fermer ma gueule. Bien sûr je pourrais vous raconter mon petit-déjeuner. Façon Vodka-Martini, avec trois flocons d'avoine pour faire bonne figure face à mon nutritionniste. Je pourrais vous raconter mes folles nuits passées à peindre des fresques égyptiennes sur le corps de mon chat persan fraichement tissé de soie. A la rigueur, il serait envisageable que je vous parle de l'ambiance intimiste des jazzrooms des rues de Pékin, ou de la naissance des aurores boréales sur le front des filles du boulevard Voltaire.
Ou je pourrais vous parler sérieusement, tristement, de brevets logiciel. Ou joyeusement de la paranoïa de certains développeurs du projet debain debian. Je pourrais lancer un débat sur l'exploitation des victimes de malformations dans le cinéma ou dans les cirques. Ou m'émerveiller devant la maîtrise des sculpteurs d'ivoire du XIVe siècle.
Mais pour ça, il faudrait que je mette un peu le nez dehors avant 17 heures, ou que je sois en mesure de traverser une salle de musée autrement qu'en flottant à 5cm au dessus du sol.
Y'a des jours comme ça ou j'ai pas envie. Et c'est vraiment mieux comme ça.
24 septembre 2003
In the house of flies
blog Out a évolué, hier soir, à l'insu de tous. Il s'est déplacé, virtuellement, d'un serveur à un autre. Concrètement, ça ne change rien. D'autant qu'en réalité, les fichiers n'ont pas bougé. Mais je vais enfin pouvoir avoir des statistiques fiables, et ça c'est important.
Pendant ce temps là, dans le reste du monde, on se tappe dessus, comme d'habitude. Mais là, c'est la guerre des geeks, ouverte, totale. Dont voici la déclaration. Verisign a ouvert les hostilités, en lançant Site Finder, un chouette service d'après leurs commerciaux, une catastrophe techniquement, et un morceau de bravoure shameless pouvant potentiellement leur rapporter des millions de dollars.
Concrètement, que se passe-t-il maintenant ? Vous pouvez essayer. Tappez une adresse se terminant en .com ou en .net dans votre navigateur. N'importe laquelle. Par exemple, http://blogoutnexistequedansvotreimagination.com. Au lieu d'avoir une erreur franche, vous tomberez désormais sur le service de Verisign, qui vous aidera à trouver la vraie adresse, celle que, vraissemblablement, vous vouliez visiter. A première vue, pour n'importe qui, c'est plutôt chouette. Enfin ca le serait si Verisign n'en profitait pas pour vous coller moult publicités, et un joli cookie pour vous tracer comme il faut. Ca le serait si ça ne cassait pas en partie tous les filtres anti-spam de la planète. Ca le serait, surtout, si ca ne générait pas une pagaille pas possible dans la gestion des mails envoyés sur notre belle terre. Oui parce qu'au passage, Verisign a aussi mis un serveur de mail répondant sur toutes les fausses adresses, qui devrait en théorie et dans le meilleur des pires cas dire au revoir tout de suite, mais qui en profite pour récupérer deux trois adresses email, tant qu'à faire.
Le reste du monde a très vivement réagi, en prenant des contremesures drastiques, résumée chez Imperial Violet. Même l'ICANN, a priori responsable de cette catastrophe naturelle à la base, est allé au front, timidement. La démarche la plus aboutie restant celle de l'IAB, qui a publié un document complet sur les problèmes posés.
Chez Verisign, on ne semble pas résolu à laisser tomber le projet pour autant. Dans sa réponse du 21 Septembre, Russell Lewis, Executive Vice President, avance des arguments tant intelligents qu'imparables tels que « oui mais les autres ils font pareil, d'abord », ce qui n'est qu'à moitié vrai. Mais le meilleur reste quand même cette petite phrase effrayante :
As to your call for us to suspend the service, I would respectfully suggest that it would be premature to decide on any course of action until we first have had an opportunity to collect and review the available data.
Imparable, vous dis-je.
En attendant, si vous voulez faire bouger les choses dans le bon sens, il reste toujours cette pétition.
- Slashdot - Resolving Everything: VeriSign Adds Wildcards
- ONLamp.com - Paul Vixie on VeriSign
- The Register - Verisign backlash gathers force
- haque.net - Explication détaillée du problème par Jason Garman
- Nuclear Elephant - A look into Verisign's Anti-Competitive Past
- HSC - Why we must afraid by .COM and .NET wilcard DNS put by Verisign ?
19 septembre 2003
Explosion de fureur
Je fonce. Les murs défilent, les néons forment un trait continu de lumière. L'air est chargé d'herbe et de sueur. J'ouvre nerveusement la porte de la voiture, direction mairie d'ivry. La rame fonce sur trois stations. J'ai coiffé mon casque. La musique arrive, violente, mon exutoire, enfin. Je viens de comprendre pourquoi j'aimais tant le métal. Ce flot continu de guitares sur-saturées, de batteries furieuses, et de voix rauques me permet d'évacuer ma propre frustration, ma haine, ma hargne. Je transpose, je fulmine, je fume, mon regard se durcit, mes mâchoires se contractent à m'en exploser les molaires. Le métro s'arrête à peine que je gravis déjà les marches. De l'air, c'est un impératif. Je marche, aussi vite qu'il m'est possible de marcher. En rythme avec Masnada, puis Fear Factory. Je programme la suite, en tenue de combat.
Ce soir, ca sera Watcha, Rammstein et Artsonic. S'il me reste de la sueur, j'enchainerai avec la Frenchcore au grand complet, et je m'achèverai avec StaticX. Il y a des jours où il faut que ca sorte. Mes ongles ont pris des allures de griffes métalliques, ma veste est devenue armure, et mes yeux virent au rouge sang.
La musique, ma musique, est redevenue ma drogue dure. Pour une heure encore.
A tous les pionniers au moment du café, aux cracheurs imbibés d'alcool à brûler, aussi aux fakirs aux plantes de pieds cramées, et surtout aux nymphos qui l'ont très bien placé. Tous les indiens pour passer leur message, au terrible dragon gardien de la belle, aussi aux allumés les yeux pleins d'étincelles, et à tous les artistes pour qui il est sacré.
A tous les clandestins veillant sur l'alambic, au tout premier homme avec ses deux silex, aussi au bon diable qui empeste le souffre, et aux vieilles sorcières avant qu'il lèche leurs pieds. A ma gazinière avec ses quatre feux, aux morts encore chauds et à leurs feux follets, aussi aux trafiquants qui font l'or couler, et aux spoutniks...
And no one, no one, no one, no one, le feu sacré de vos âmes.
Au temps des gitans qui chantent et dansent autour, aux rayons solaires pour féconder la terre, aussi aux accros à la cuillère sur le gaz, et à Vulcain il en est le dieu. A tous les pionniers au moment du café, aux cracheurs imbibés d'alcool à brûler, aussi aux fakirs aux plantes de pieds cramées.
And no one, no one, no one, no one, le feu sacré de vos âmes.
Les yeux de braise, coeurs en flammes, feu sacré celui de vos âmes. Celui de vos âmes...
No one is innocent - le feu
18 septembre 2003
papiers volant
Je sors du métro. Là-haut, les services météo ont punaisé un énorme soleil sur le ciel bleu carte postale. Sale temps pour aller bosser. Mes pieds m'y conduisent quand même, parce que bon, je les ai bien dressés. Arrivé devant la Poste, je me dis que c'est impossible (ca change de la sncf). Une pauvre hère court dans la rue en hurlant au voleur.
Ledit voleur n'est déjà plus qu'un vague souvenir au loin, dans la foule, qui n'a même pas voulu le remarquer, trop concentrée qu'elle était à fixer ses centaines de pieds.
La femme volée se lamente. Mes papiers, mes papiers... il m'a tout volé. Mes papiers.... Sur l'instant, je ne comprends pas. Moi je penserais d'abord à mon courrier, mon morceau d'ambre en acier, mon kama sutra de poche et ma girafe en plastique.
Mais non, elle est paniquée parce qu'elle pense déjà à ce soir, quand elle se fera arrêter par un motard qui lui demandera ses papiers. Elle pense déjà à demain quand elle devra passer de longues heures devant une horde de sauvages fonctionnaires faisant des excès de zèle. Devant la machine à café. Elle baisse les bras, et lève les yeux au ciel, pour bien vérifier que son sac à main n'en tombera pas.
Vingt mètre plus loin, trois hommes sans couffin et une femme en képi font la circulation. Les feux tricolores fonctionnent et les voitures klaxonnent, avant de piler devant l'autorité.
Je vis dans une drôle de société.
16 septembre 2003
antipathique vengeance
Au fond de la pièce, brisant le silence, un petit rire surnaturel s'échappe d'une gorge anonyme. Le petit écran passe de main en main, et les gloussements commencent à rebondir sur les murs trop blancs. Lui n'entend rien. Il fixe son bureau, le regard vide, l'oeil comme noyé au milieu des chiffres qui s'étalent devant lui. Les rires s'amplifient de seconde en seconde, se heurtant à ses tympans sans relâche pour essayer d'en briser le mur.
Des dizaines d'yeux fixent maintenant la petite lumière pâle. D'autres lumières s'allument, les fils de la toile se tissent un à un. Les rires se sont mués en soupirs et chuchottements, en rumeurs et agacements. La nuée se disperse précipitamment, alors qu'arrive la rigueur, cachée derrière un costume Burberry. La nuit tombe dans le bureau, les noeuds se défont, les mains se cachent alors que les langues se lient de nouveau.
De rares plumes se remettent à gratter le papier, et le claquement des doigts sur les terminaisons plastiques des machines reprend de plus belle. Les nez se froncent, chevauchés par leurs montures sombres. Lui se contente de lever un regard curieux sur ce nouveau monde de tranquilité. La rigueur esquisse quelques gestes de ses mains, ses doigts se tordent à qui mieux mieux, hésitants, maladroits. Son regard à lui passe de la torpeur de l'ennui à l'angoisse soudaine. Il a peur de mal comprendre, les gens se trompent si souvent. Ses yeux se brouillent. Il ferme les paupières pour finir de s'isoler du monde.
Le costume s'agite un peu, hoche la tête, et prend la parole.
- Comme je viens de le lui indiquer, notre comptable monsieur B. nous quittera dès la semaine prochaine. Nous n'entendons rien à son travail, et il laisse nos clients sans voix. Double exploit pour un sourd-muet, vous en conviendrez.
L'assemblée rit bruyamment au cruel calembour. Lui ne voit que cette gigantesque armée de molaires prêtes à s'abattre sur la proie facile.
- Et s'il vous plaît, évitez de passer vos journées à jouer avec vos téléphones mobiles, ou je me verrai contraint de prendre les mesures adéquates.
Le silence retombe, lourd, suivi d'un bip strident. La rigueur a reçu une photo de sa fille sur son téléphone dernier cri. Elle est en larmes. Elle est virée.
moralité: c'est pas parce qu'on met en scène un personnage sourd-muet qu'on a forcément un semblant de scénario
15 septembre 2003
pas de fumée sans feu
l'une des caractéristiques des arts électroniques, c'est leur sensibilité aux dynamiques sociales et aux questions politiques.
C'est avec cette petite citation de Gerfried Stocker, tirée d'un article de libération (agaçant au possible, par ailleurs, à sans arrêt employer digital pour numérique), que je découvre aujourd'hui l'existence du festival Ars Electronica, qui a pourtant mon âge - à quelques poussières d'étoile près.
Il est assez difficile de trouver autre chose sur ce festival que son propre site. Après une lecture rapide des quelques articles que j'ai pu trouver à son sujet, il me rappelle beaucoup une fameuse nuit cyber organisée sur canal+ il y a de cela huit ans. C'est à dire un peu de culture geek, et beaucoup de culture kitch. Ce qui est intéressant, ce sont les thématiques abordées - plus que la façon dont elles sont traitées. Cette année, le festival concentrait ses efforts autour d'un sujet très opaque : le code. Volonté désespérée d'attirer de jeunes informaticiens hype de tous poils pour redonner un coup de fouet à un concept vieillissant, ou réelle ambition, dans un cas comme dans l'autre je suis très étonné. Le profil historique du festival ne ressemble en rien à celui d'une LAN party, encore moins à celui d'une coding party. Et pourtant, le pari semble réussi.
Toutes ces considérations obscures mises de côté, il en reste la petite phrase du départ. La petite phrase qui fait qu'étrangement, on a envie de reconsidérer des gens habituellement classés dans la catégorie des parfaits asociaux. La phrase qui politise l'attitude geek.
Ce festival, comme de nombreux journaux, lobbies, associations, groupements scientifiques et économiques, met sur la table le problème des brevets logiciels. Le débat est brûlant en Europe. En particulier dans le milieu du logiciel libre, mais aussi de l'autre côté, celui des gros bonnets de l'informatique. Ce qui est regrettable, c'est que pas une seule des entreprises qui sont concernées en premier lieu par ce genre de décision (comprenez les PME-PMI) ne semble vouloir s'impliquer dans le débat. Du coup, le pugilat actuel ressemble fort à un combat perdu d'avance entre néo-terroristes électroniques et ultra-conservateurs du grand capitalisme mondial.
Pourtant, la possibilité de déposer des brevets sur la propriété intellectuelle n'est pas sans poser de problèmes. Les dérives ont déjà été constatées aux États-Unis, et c'est d'autant plus triste. Imagineriez-vous un seul instant qu'un journaliste puisse être attaqué parce qu'il a utilisé une figure de réthorique dans un article ? Bien sûr que non ! Pourtant c'est typiquement le genre de choses qui sont brevetées outre-atlantique, si on l'adapte à l'informatique, par exemple. Le débat actuel, pour certains, consiste à réduire la portée des brevets logiciels. Qu'on ne puisse reprocher à ce journaliste d'avoir utilisé une figure de réthorique que dans le cadre d'un article sur les ornithorynques. Le débat de fond, pour la communauté du libre, c'est d'empêcher de telles aberrations, tout court. Et ça n'est pas gagné. Tout laisse présager le pire, au vu des enjeux financiers. Il serait facile de se décourager et de baisser les bras.
Mais si au lieu de ça, pour une fois, on se battait un peu plus fort ?
11 septembre 2003
Léthargie
Bip. Premier son de la journée, hallucination auditive. L'oreille gauche se rapproche de la droite en s'enfonçant sous la plume de l'oreiller. Ma tête appelle le repos. Mon cerveau se déconnecte. Dernière pensée avant évanouissement - quelle heure est-il ? Je n'en saurai rien, ne prenant pas le temps de chercher la réponse.
Bip bip. De nouveau, les pensées entremêlées s'accumulent à la racine de mes cheveux. Quel être humain a pu un jour être assez cruel pour inventer les réveils ? Encore cette interrogation qui se glisse dans le néant avant d'avoir atteint ma gorge - quelle heure est-il ?
Troisième éveil. J'ouvre un oeil, puis un second. Ce que je vois ne me plait pas : je ne vois rien. La tache noire se mue doucement en lumière, diffuse. L'image est floue. Je fixe la fenêtre, et tente tant bien que mal de repérer les angles droits, qui s'amusent à fuir et trahir les lois élémentaires de la géométrie. Cinq bonnes minutes s'écoulent avant que le moindre muscle ne daigne réagir aux impulsions cérébrales continues qui leur sont envoyées.
Quand enfin je me retrouve debout, chancelant, je regarde ma montre.
Voilà une heure que je devrais être réveillé.
08 septembre 2003
301 - Moved Permanently
La bulle a déménagé, intégralement. Elle a pris le métro un petit matin de septembre, il faisait frais, et les cernes soulignaient les yeux ternes. Nous étions tous un peu à l'Ouest - et c'était bien parti pour changer.
Trois stations plus loin, de gros camions déchargaient des tonnes de tables, de chaises et d'armoires, et des hommes en jean et en muscles soulevaient trois cents cartons remplis jusqu'à la gueule de matériel informatique. Les serveurs étaient arrivés avant nous, ils attendaient sagement qu'on leur fournisse leur dose de drogues dures. Des rails, des fix', et une véritable orgie de baies.
48h plus tard, l'après-midi s'écoule, doucement, sur un petit air d'électro-jazz. Tout le monde attend l'électricien autant que le weekend. Nous sommes coupés de nos racines, de notre passé - aussi court soit-il, et d'internet. Pendant ce temps là, le monde se déchaine. Je les regarde, lointain, sans mot dire. Une lueur triste s'allume dans mes yeux, et une petite voix s'étrangle au fond de ma tête.