Mercredi, troisième jour dans notre nouvelle ville d'adoption, quinzième visite d'appartement, et premier coup de foudre. Ca sera aussi le dernier. On récupère donc les papiers à remplir : une page recto/verso remplie de mots étranges et d'expressions nouvelles. L'agent immobilier n'a vraisemblablement pas compris quand on lui a demandé de virer de chez nous, et en plus il nous demande des fiches de paye, des contrats, des garanties, et un gros effort de compréhension. Enfin, surtout pour Maïa, parce qu'alors, j'en suis encore à me demander ce que peuvent bien vouloir dire Wohnung (appartement), Kaltmiete (loyer sans les charges) et Nebenkosten (charges). Il faut me comprendre, mes profs d'allemand ont beau être excellents, ils n'en sont pas moins des chanteurs avant tout.
Jeudi, papiers remplis, sourire aux lèvres, on fonce à l'agence. On nous dit que le propriétaire nous rappelle. On patiente donc, les yeux rivés sur le téléphone. Qui ne sonne pas avant 19h. Fébriles, on décroche de concert (ou presque), pour se rendre compte que c'est l'agence qui rappelle, et qu'il manque des papiers. Une photocopie et un trajet en tramway plus tard, ils ont tout. Le propriétaire doit appeler le vendredi ou le lundi. On commence à perdre confiance quand ils nous disent que le dossier n'est pas simple, mais qu'ils vont essayer. Limite on est très très déprimés, mais on le cache du mieux qu'on peut.
Vendredi. Une journée entière à passer avec des crampes dans le bide et aux aguets. On doit avoir l'air de deux pauvres idiots à mater un vieux téléphone Nokia comme ça, en pleine rue, au restaurant, dans le supermarché, dans le métro. Comme en réponse à notre angoisse, il finit pourtant par sonner, mais c'est le conseiller de notre opérateur téléphonique qui veut nous vendre des vidéos de Zidane en 3G, parce que bon on est en Allemagne, donc on doit bien aimer le foot... On ne peut pas balancer le téléphone sous les roues du S-Bahn, mais c'est pas l'envie qui manque. Le soir arrive, et on se dit que tout est foutu.
Samedi. C'est l'anniversaire de Maïa. On nous a bien dit que le propriétaire n'appellerait pas le weekend, mais on attend un miracle. De toutes façons, on n'a pas dormi, alors on n'est pas vraiment samedi. Heureusement, nos amis sur place se démènent comme des fous pour nous distraire, et on finit par oublier un peu en dansant sur de la musique cool et en buvant des cocktails et des binouzes. On se dit qu'au pire, même si on n'a pas l'appartement de nos rêves, on pourra boire tous les weekend en boîte de nuit pour moins cher que dans un bar parisien. On rentre à 4h du matin, et on arrive finalement à dormir.
Dimanche, journée du plan B. On est définitivement persuadés que c'est cuit, on fait nos adieux à notre terrasse au 5ème étage, à nos puits de jour et aux étoiles dans le ciel. Après tout, on a bien vécu trois ans dans trente mètres carrés, on tiendra bien encore trois ans dans 40 ou 50. Evidemment, la vue sur la Karl Marx Allee est moins plaisante que celle sur le parc Guilhem à Paris, mais hé, c'est ça aussi les joies de l'expatriation. Pour un peu, on arriverait presque à se convaincre mutuellement. On n'a dormi que 5 heures et la journée s'évapore bien que nos têtes se prennent pour des arbres.
Lundi matin, notre taux d'alcoolémie est redevenu normal. On veut encore y croire, malgré la petite voix qui nous hurle que c'est foutu. On va faire un tour à l'agence, et on précise que mon futur manager est prêt à décrocher son téléphone pour parler au propriétaire. Ca a l'air de plaire à l'agent immobilier. On lui demande si ça vaut le coup qu'on attende ou si c'est fichu fichu, et il nous regarde comme des extra-terrestres. On n'ose pas trop se le dire, mais c'est bon signe. On se remet à rêver de voûte céleste et de white russians au soleil. On doit rappeler à 15h.
Lundi, 15h02. Ca fait 97 minutes qu'on regarde le téléphone toutes les minutes pour vérifier que ce n'est pas l'heure. On a juste raté les deux dernières minutes. On appelle quand même, et tant pis pour la ponctualité légendaire des français. Personne ne décroche. Moral dans les chaussettes.
Lundi, 16h30. Téléphone. C'est l'agent immobilier. Comment ça le proprio ne nous a pas appelé ? Il va le faire. Lueur d'espoir, mêlée d'angoisse.
Lundi, 16h31. Téléphone encore. C'est le propriétaire, qui nous demande si on est toujours intéressés. On hésite à lui répondre que non, pas du tout, et on se dit que peut-être, il ne saisira pas l'ironie. Le dernier ongle du dernier doigt de ma main gauche y passe, j'hésite à entamer les orteils. J'envoie toutes mes ondes positives à Maïa qui lutte au téléphone. Je la vois noter une adresse, un montant, elle sourit. On vient de lui dire que c'était OK.
Lundi, 16h37. On vient de passer une bonne minute à sauter fébrilement partout en poussant des petits cris dignes du plus petit des chatons venant de naître. On a rendez-vous à l'autre bout de Berlin, le lendemain, pour signer les papiers et récupérer les clés. Il faut juste apporter la caution avec nous. J'appelle ma banque, qui est fermée. J'appelle Google, et ça va mieux.
Lundi, 23h59. Impossible de fermer l'oeil.
Mardi, 3h45. Je me lève, je rédige le fax à envoyer à ma banque pour faire un transfert bancaire en bonne et dûe forme. Toujours impossible de dormir.
Mardi, 10h. On arrive à l'agence. Après une minute de causette dans la langue de Kant, Maïa fait un peu la tête. Si on veut les clés, il leur faut la caution en échange. Et pas dans six jours, soit le temps nécessaire pour que le transfert interbancaire se fasse, mais maintenant tout de suite. Genre, comment je vais retirer plus de 2000 euros moi ? Déjà en France, ça serait galère, mais en Allemagne, mmh ? On quitte l'agence, dépités.
Suit un long intermède téléphonique pendant lequel je fais le tour de la planète, quasi littéralement. Tout le monde y passe, parents, futurs collègues, boss, frangins frangines, potes sur place, banque, banque, banque, impair et passe. Après avoir envisagé de vendre mon powerbook à un passant dans la rue (qui aurait forcément eu autant de cash sur lui), on finit par bénir papa qui m'envoie la somme nécessaire via Western Union.
Mardi, 16h. On débarque avec la somme, et le bail de 14 pages entièrement traduit. On a au moins appris à être efficaces, en une semaine. On peut avoir les clés maintenant ? Non. Là, on hurle. Mais pas longtemps. Et intérieurement. On a rendez-vous à 18h30, à l'appartement. Pour faire l'état des lieux, supposons-nous. Du coup, pour se changer les idées et se dégourdir les jambes, on va chez Ikéa où on passe... 10 minutes avant de reprendre un S-Bahn.
Mardi, 18h30. En fait d'état des lieux, on a rendez-vous avec le concierge, qui nous fabrique nos étiquettes, nous change la serrure, et nous file les clés. Il est très gentil, ne parle pas un mot d'anglais, mais ça va, en fait. On a comme un énorme sourire scotché sur le visage. On a maintenant officiellement une nouvelle adresse : Grünberger Straße 52