Quatre heures plus tôt, je venais de célébrer ma propre décadence à coup de délicats cocktails et de poussière d'étoile dans ses yeux. Et puis après avoir envisagé avec bonheur les quatre-vingts prochaines années, je me suis bêtement mis à réfléchir à la journée suivante. J'ai commencé à jeter en vrac chaussettes, pantalons et chemises dans une grosse valise. Re-sorti les chemises, les ai repassées, re-jetées dans la même valise, et mis celles qui soulignaient mes yeux au rencard sous la couette.

Un bruit strident me sort du coma. Ca ne ressemble à rien, on dirait moi au réveil. Tiens d'ailleurs, est-ce que ca ne serait pas... mon téléphone qui sonne. Il est déjà 4h45, j'ai un petit mal de crâne tenace et un arrière goût de vodka dans la bouche.

J'enfile un déguisement, histoire de me rapprocher un peu plus du winner que du geek bourré en pyjama. D'autant que je n'ai pas de pyjama, ce qui n'aide pas à faire sérieux au bureau. J'effectue la fameuse passe du transfert de poches, et je me fais une fois de plus la réflexion qu'il vaut mieux avoir un baggy qu'un pantalon de costume pour stocker ses clés, son portefeuille, ses clés USB, son couteau suisse, son laptop et son quatre heures. Je fais deux pas vers la porte.

Un bruit étrange émane de la jambe gauche de mon pantalon. Et avec lui, une pluie de pièces. Bordel, cette foutue poche est trouée comme un normand ! Mes ancêtres tâtonnent dans leur tombe pendant que je retourne l'appartement à la recherche d'un introuvable nécessaire à couture. Je manque de réveiller tout l'immeuble en me prenant les pieds dans une bouteille vide de Gorbatschow.

De désespoir, je change de poche et agrippe ma valise. Je me rue sur la porte. Cinq étage plus bas, je suis de nouveau l'homme le plus pauvre au monde, et les escaliers se prennent pour des arbres à clochettes. C'est pas que je commence à en avoir ras le casque de jouer au petit poucet, mais en fait, j'en ai gros. Normal, vous me direz, il fait encore nuit. C'est pas faux.

Je reprends ma monnaie, puis mon souffle. Je me rue dehors - et je me demande bien ce que ca m'apporte. Il est 5h19, et le foutu bus censé me conduire à mon train est à 200m de là. En direction de la gare. Je tire le bout de carton qui me sert de langue au conducteur, et je donne un coup de pied rageur dans une canette de bière qui traine sur le trottoir.

Après avoir pesté une demi-seconde de trop contre cette malheureuse manie qu'on les bus allemands d'arriver et partir en avance, je me dirige vers le S-Bahn. Tous les chemins menant à Rome - et au moins deux à Ostbahnhof, je suis en veine. Éclatée. Sur la tempe. Mais je vais de l'avant, il est hors de question que je rate mon train.

Et je l'attrappe, sans problème - cette journée n'est peut-être pas maudite, après tout. Je sors mon laptop de mon baggy de costume, et je commence à travailler. Il est 5h56. Juste quand je commence à me dire que ma batterie se décharge bien vite, le train arrive à Frankfort. Pas de bol, moi qui voulais lire un livre... Tant pis, ca attendra ce soir.

J'arrive au bureau, et les collègues rappliquent. Ils me tendent une bouteille de vodka russe, une bouteille de kalhua, et deux briques de crème liquide.

Je me demande s'il y a un message caché.