Je suis un teckel nain, et cela n'a rien à voir avec le fait que je m'ébroue après m'être pris une averse. Après avoir énoncé ce paradoxe incroyable, il est possible que certains aient déjà fui. Les techniques de vieux prof démago n'ont pas toujours l'effet escompté quand elles sont utilisées sur internet, mais peu importe.

Reprenons donc. Vous avez tous déjà été témoin ou victime d'une attaque de teckel nain. Ou de n'importe quel autre animal court sur pattes qui fait trois fois plus de bruit avec sa gueule qu'une armée de dobermann affamés. Normal, me direz-vous, c'est pas tous les jours facile de se trainer une tronche de paillasson à sa mémère devant le regard condescendant de l'humanité toute entière, il faut donc trouver des compensations. Le teckel peut donc décider, comme ça, sur un coup de dent, de vous attrapper le pantalon. Si vous n'avez pas de chance et que c'est un teigneux, il risque même de ne pas lâcher prise, et vous allez vous planter un de ses crocs dans la couenne en essayant de vous débarrasser de l'excroissance quadripède qui s'accroche à vous comme une moule à son rocher (dédicace multiple).

Le teckel prend donc parfois des décisions stupides. Moi aussi. Par exemple, j'avais décidé un jour que j'allais devenir un chasseur-cueilleur du XXIe siècle, et j'avais commencé à me construire un arc avec une bonne branche de bouleau et un élastique industriel. J'ai fini avec une entaille grande comme la paume à la main droite, et un diplôme d'informaticien. Je vous passe l'épisode de 26 ans pendant lequel je me suis auto-persuadé que je n'aimais pas les huîtres, sans en avoir jamais goûté une. Tout comme l'épisode où je me suis auto-persuadé que si, j'aimais la bière, et où j'achetais des packs de 36 33 export, tel l'homme viril fier de sa Renault Fuego verte et de sa moquette sur le torse.

Jusqu'ici cependant, j'avais un énorme avantage sur le teckel ; mes décisions aléatoires n'affectaient personne directement. Et puis un jour, mes pattes ont commencé à rétrécir, mon poil est devenu lisse, et je me suis mis à grogner. La première fois que cela m'est arrivé, je devais être en voiture, un peu à la bourre, comme à mon habitude, et sans idée précise du chemin qu'il fallait que j'emprunte pour arriver à destination. J'avais alors une copilote, qui savait lire une carte routière, mais bêtement, je me suis dit qu'il était inutile de l'embêter, que j'allais bien trouver. D'ailleurs, je reconnaissais déjà la pharmacie au coin de la rue, 50 mètres plus loin, j'étais donc sur le bon chemin. Evidemment, 50 mètres plus loin, la pharmacie s'est avérée être une boucherie, la droite est passée à ma gauche, et je ne savais plus du tout où j'étais. Mais plutôt que de revenir sur ma décision initiale (souvenez-vous, ne pas embêter la copilote), j'ai dû grogner un "oh mais oui, bien sûr", garder la face, et continuer à me perdre. Deux fois, dix fois, j'aurais pu arrêter de me raconter des salades. D'autant que je savais très bien que j'étais complètement paumé, et qu'il me fallait réagir vite si je ne voulais pas arriver avec plus d'un siècle de retard sur l'horaire. Mais non. Au moment où j'ai enfin avoué, vous vous doutez que la copilote était : 1. furieuse, 2. interloquée. Mon museau s'est alors allongé, nettement.

Plus récemment, en saluant une foule de gens, j'en ai zappé certains, complètement inconsciemment. Sauf qu'évidemment, si eux n'avaient pas remarqué, moi ça m'a un peu travaillé. Ouais parce qu'en plus d'être un teckel mutant, je suis aussi victime d'un grand complot - pour résumer, l'humanité contre moi. Et encore, je ne suis pas sûr que cela n'implique que les humains, parfois les parc-mètres me regardent de travers. Donc, après ne pas avoir fermé l'oeil de la nuit parce que j'avais oublié de saluer les gens, gens qui avaient forcément tous dû s'en rendre compte, je me suis dit qu'il fallait que j'assume. Et je n'ai donc plus jamais osé dire bonjour à une paire de personnes. Evidemment, comme je continue de les voir, ça donne lieu à des scènes cocasses où je fais des pirouettes incroyables pour que le fait d'oublier de dire "bonjour" passe inapperçu au milieu du reste. Evidemment, je continue de dire bonjour à d'autres, et quand les gens se mélangent, les genres aussi.

Conclusion, si vous me voyez dans la rue en train de faire la roue sur mes roues (de roller), en train de grimacer devant une grand-mère ou de regarder partout en prenant l'air perdu, soit je suis en train de chercher mon chemin, soit je suis en train de saluer.

Chacun ses parades.