octobre 29, 2003
N.
Chère N. Personne ne t'en veut d'être si présente, personne ne saurait te tenir rigueur de nous envahir par moments, par vagues. Mais ta futilité n'a d'équivalent que ton nombre d'adorateurs. A la rigueur, tu nous permets de canaliser des pulsions naturelles, de les concentrer vers un bouc émissaire quelconque, histoire de nous soulager à la fois les poings, la conscience, et le foie. Mais par définition, un bouc émissaire, tout adapté qu'il soit, n'est jamais la seule source de nos problèmes.
N., donc, évite de nous faire dire n'importe quoi. Si l'un d'entre nous doit faire l'objet de ton attention, ça n'est pas la jolie proie facile. C'est l'Autre, tout aussi difficile que cela puisse paraître. L'Autre, l'intouchable, qui nous a pourtant coulé. Pas irrémédiablement, pas définitivement. Comme dans tous les jeux, on peut toujours se refaire. Jamais avec la même mise, jamais avec la même combine.
Foutue N., passe ton chemin. Que les gens que tu aveugles puissent passer à autre chose. Apprendre à vivre, c'est un peu ré-apprendre à lire -- savoir tourner la page, et marquer des points à la fin de la phase.
You see
You feel
You know
React
You're waiting
You're waiting
ChangeKilling Joke - Change
octobre 10, 2003
heurts de pointe
La scène se passe un vendredi soir, à quelques mètres sous terre. Voilà deux heures qu'on n'entend que les notes diffuses d'Eros Uber Alles qui s'échappent discrètement d'un écouteur, perdu sur un bureau en parfait désordre. Les muscles sont fatigués, les traits tirés, et le silence lourd. Tout le monde essaie désespérément de donner le change. On distingue encore la petite étincelle de vie qui s'acharne à briller dans le reflet de leurs yeux, qui ne demandent pourtant qu'à se fermer.
Au milieu de toute cette torpeur, je fais tache. Voilà deux semaines que je dors comme un bienheureux, quelques heures par nuit. Deux semaines que je quitte prématurément le monde studieux pour aller noyer mes envies de sommeil dans des verres de vodka. J'ai tout ce qu'il faut pour me fondre dans le décor pourtant ; Les ombres dansent sous mes yeux éteints, et mon coeur bat au ralenti sous les soleils artificiels qui éclairent les murs irisés de la bulle. Mais ca ne prend pas. L'image du sauvage forcené enchaînant les nuits à travailler pour faire avancer les choses s'est estompée doucement, puis a fini par disparaître. Reste le fêtard, saoûlant son entourage au moins autant qu'il irrigue son foie. Celui que tout le monde cherchait quand il n'existait pas, et que tout le monde souhaiterait maintenant voir s'effacer. L'aiguille de ma boussole s'affole.
Fondamentalement, rien n'a changé pourtant. C'est juste mon moral, qui a cessé de faire le yoyo, au prix de quelques concessions ; j'ai du réfreiner mon enthousiasme, réfreiner mes envies d'exploser à la figure des gens quand je suis en désaccord profond. Un jour, j'en ai eu marre de nager à contre-courant. C'est encore plus usant que deux semaines de piscine. Ca n'est pas une histoire de sommeil, c'est une histoire de foi, de santé mentale. Je me suis battu, longtemps, pour arriver à d'infimes résultats et à de flagrants échecs. Je n'en peux plus. Tout s'est mélangé, précipité, pour me faire lâcher prise. Je ne tiens plus, ma tête, mon corps, et mon coeur hurlent à la mort, réclament des vacances. Que je ne peux pas prendre.
Malgré toute cette lassitude apparente, il me reste des glaives pour frapper dans l'eau. Il me reste quelques violons dans lesquels me libérer. Et quelques forces pour essayer d'influencer le cours des choses, malgré tout. Je n'ai pas changé, mais j'ai besoin de temps, un peu du mien, beaucoup du vôtre, chers tous, pour reprendre des forces. Je ne suis plus prêt à gaspiller mon énergie, ma voix et ma vie dans un seul but. J'ai besoin de calme aussi. J'ai besoin de me construire avant de construire autour de moi.
Je crois que j'ai trouvé la pierre qui manquait à l'édifice. Peut-être vous apparaît-elle encore un peu grossière. Ou peut-être avez-vous l'impression qu'à vouloir à tout prix la mettre là, je menace tout l'équilibre. Moi, j'ai simplement besoin de trouver cet équilibre, entre ma vie et celle des autres.