juillet 10, 2003
Alias
libre comme l'air et seul comme tout
La lune est énorme ce soir. Elle prend toute la place dans le ciel, un peu comme le coeur dans ma poitrine, qui essaie d'asphyxier le poumon qui lui sert de compagnon. Il est une heure passée de deux ou trois minutes, le temps s'est arrêté. J'ai dit au revoir à Perrine.
Elle part à Chicago, toutes valises dehors, pour perfectionner son anglais. Très humblement, elle vous dira que c'est pour l'apprendre. Dans un mois, je la rejoindrai une petite semaine. Nous nous retrouverons à New-York.
Si cette courte séparation me rend un tantinet mélancolique, la perspective d'aller à New-York m'enchante franchement, en revanche. Ce qui surprend beaucoup de gens autour de moi. C'est amusant, d'ailleurs, cette propension qu'on les gens à surenchérir, exagérer, augmenter les choses :
Les américains sont les maîtres du monde, il ne faudrait pas abonder dans leur sens et aller le leur prouver chez eux. Et il faudrait également leur faire comprendre que leur hyperpuissance commence à nous courir. Bon sauf que là, on ne sait pas trop comment faire pour le leur faire comprendre, alors on raille leur président à qui mieux mieux, c'est plus rassurant que de se sentir juste bête et inefficace face à l'hégémonie.
En face, on trouve que les français sont arrogants, et qu'ils cautionnent le terrorisme islamique — il ne faudrait pas non plus aller en vacances chez eux. Ils ne se lavent pas, qui plus est, il paraît qu'il est impossible de visiter un musée (non climatisé) tranquillement sans être dérangé par leur odeur. Et leur vin est de qualité inégale, pourquoi donc en boire.
D'un côté de l'atlantique comme de l'autre, la bêtise humaine surpasse tous les trésors d'intelligence du monde.
Et moi dans tout ça me direz-vous ? Moi — qui n'achèterai jamais que des voitures françaises par simple respect pour mon pôpa, qui « boycotte » McDonald's et ses sandwiches, et qui essaie tant bien que mal de chasser quelques douloureux anglicismes de notre patrimoine linguistique — en quoi serais-je moins contestataire ? La question est délicate. Pour répondre très naïvement et très incomplètement, je commencerai avec le constat suivant : j'ai une lourde tendance à favoriser l'industrie nationale avant l'industrie internationale, et une très forte propension à manger ce qui me plait. Evidemment, cela suppose de mettre en avant un sentiment d'identité régionale, nationale, et européenne qui plaira assez peu à des gens comme lunar, qui souhaitent supprimer toutes les frontières pour ne former qu'un et un seul monde uni. Cela dit, cette histoire d'identité me semble néanmoins importante.
L'identité de chacun, si elle ne doit pas être poussée au paroxysme, ou constituée d'une seule facette — religieuse, politique, nationale, ethnique, etc. — est tout de même importante. Personne ne serait ce qu'il est s'il n'appartenait pas à une famille, s'il n'avait pas de gens avec qui il partage certaines idées, traits de caractère etc. Même les gens qui se disent n'appartenir à aucune famille, être athées, anarchistes et apatrides, même ces gens parlent une langue, ont les yeux d'une certaine couleur, ont un sexe et les hormones qui vont avec. Ils vivent dans un monde où l'information circule, et même en ayant le sentiment de s'en détacher complètement, ils en dépendent en partie, et leur objectivité est donc compromise. Involontairement, ils vont, à un moment où un autre, se donner une identité.
Raisonner par rapport à sa région, sa culture, son pays, est assurément dangereux, à partir du moment où l'on en est pas conscient pleinement. En revanche, comment remettre en doute aujourd'hui en France l'utilité de manger des petits sablés Lu, ou de conduire des voitures Renault, Peugeot, ou Citroën ? Le travail de milliers de français en dépend, et par conséquent l'économie du pays dans lequel nous vivons, qui nous procure une protection sociale, une structure politique démocratique et stable. Une petite vie tranquille, au fond, qui nous permet de nous poser des questions d'un ordre plus général que comment est ce que je vais bien pouvoir manger ce soir ?.
Bien sûr, on peut regretter des tas de choses. On peut hurler devant les conditions de travail des ouvriers de certaines entreprises, devant la précarité de certains postes, devant les abus et les dérives du capitalisme dans l'économie française, européenne, mondiale. Mais je le répète, dans une structure différente de celle-ci, peut-être n'y réfléchirions-nous même pas. Ce qui ne doit pas nous empêcher de considérer les choses sous un angle très critique. Ca n'est pas parce que ça pourrait être pire qu'on ne doit pas oeuvrer pour que ça soit mieux. Mais enfin, nos entreprises, du petit épicier qu'il faut s'efforcer de privilégier — même s'il est plus cher que le supermarché d'à côté — à l'entreprise multi-nationale, sont dans une certaine mesure les meilleures garantes de nos conditions de vie et des évolutions qui peuvent encore se faire.
Si demain les constructeurs automobile français, par exemple, déposent le bilan parce que les français achètent des Ford, des Mitsubishi, ou des Saab, quelles que soient les qualités inégalées de ces dernières, nous y perdrons tous beaucoup plus que notre fierté. L'économie du pays se tassera sérieusement, et nos conditions de vie se dégraderont avec notre pouvoir d'achat et notre confiance. Nos acquis sociaux ne résisteront pas longtemps devant une crise de cette importance. Acheter Français en priorité, ça n'est donc pas, en ce qui me concerne, faire preuve de chauvinisme ou du protectionnisme démesuré. D'ailleurs, ca n'est pas parce que je préfère acheter français que je vais éviter à tout prix d'acheter un ordinateur fait aux Etats-Unis. Mais pour poursuivre mon raisonnement, je vais préférer acheter un Dell fabriqué en Irelande.
Donc, au final, je suis aussi buté que tous les autres ? Je fais de l'anti-américanisme ?
Non. L'hégémonie américaine, si à mon sens elle n'est pas exagérée, ne m'inquiète pas beaucoup. Pourquoi tant d'optimisme devant le climat défaitiste actuel ? Parce que je crois dans les vertus de l'Europe, parce que je crois dans le potentiel de l'Asie, et parce que nous avons une vision nécessairement déformée de l'hyper-puissance États-Unienne, à la lumière des évènements récents.
Non encore, parce que je fais la différence entre une nation et ses individus. La nation Française nous permet de vivre telle que nous le faisons. Mais elle pourrait s'appeler Autriche, Japon, Tanzanie, Brésil, ou Gabon, les individus qui la constituent seraient les mêmes, et leurs buts tendraient vers le même idéal. Cet idéal, malgré tout ce que l'on veut bien dire en ce moment, nous le partageons avec beaucoup d'hommes dans le monde, en particulier avec les américains. Il est des moments où tout nous sépare, évidemment. C'est une question de culture, d'identité, et de rapport de force. Mais les américains ne sont pas plus meurtriers, au fond, que les européens, que les français, que les auvergnats, ou que les habitants du Larzac. Leur système politique, s'il est assez différent du nôtre, lui ressemble bien plus qu'aux nombreuses dictatures qui parsèment le globe.
Voyager aux États-Unis, c'est pour moi un rêve d'enfant. Un rêve un peu terni par des considérations adultes, bien sûr. Un rêve qui s'est parfois réduit à de la simple curiosité touristique. Mais un rêve qui demeure. Cela fait maintenant plus de dix ans que je parle une langue — tant bien que mal — sans la pratiquer réellement. Que j'étudie une culture, une histoire, une façon de vivre, sans y avoir été confronté. En tant qu'informaticien, c'est encore plus frustrant, parfois. Les États-Unis, s'ils sont la source de conflits, de tensions, d'impérialisme, sont aussi le berceau des technologies modernes, un fabuleux incubateur d'idées nouvelles. Ils représentent bien sûr la démesure, l'abus de ressources naturelles — mais les Européens qui s'y sont expatriés il y a de cela cinq siècles maitrisaient déjà bien ces concepts, comme peut en témoigner la déchéance du royaume d'Espagne, et les restes des colonies Européennes.
Je ne vais pas à DisneyLand. Je ne suis pas aveugle, ni abruti par des vagues de propagande. Je vais en vacances, la tête pleine de rêves, en ayant la ferme intention de rencontrer des gens, et de revenir avec des idées.
Et quelques photos, tout de même...
Et moi qui pensais que tu allais parler de la série TV en voyant le titre...
Ok, je file dans ma chambre... mais... je suis déjà dans ma chambre!
Le reve americain. Il m'habite, il me hante. J'espère pouvoir vivre un jour dans ce pays, tout simplement pour donner une chance a ceux que l'on prend trop souvent pour des gens pretentieux.
J'ai été en allemagne et les francais n'ont pas si bonne réputation. Pourtant j'ai été accueilli à bras ouverts.
Vas la-bas et discute avec des gens, tu verra qu'ils sont ouvert et aiment decouvrir des personnes de tout horizon.
L'exemple des voitures est assez mal choisi. Prend le temps d'ouvrir le capot, de regarder où sont fabriqués les moteurs, les courroies, les pneus, etc. Tout ceci est sous-traité et transnationalisé depuis longtemps.
Oui alors cher lunar, je suis absolument outré par ce que tu dis. Je connais bien les équipementiers, tôliers, et autres sous-traitants français, suffisamment pour t'affirmer l'automobile est loin d'être un mauvais exemple. Mon père travaille dans l'automobile depuis plus de vingt ans, et on est très très loin d'observer la même chose que dans un ordinateur, par exemple, en regardant les étiquettes ou le processus de fabrication.
Je vais me baser sur Citroën, parce que c'est ce que je connais le mieux : les vitres sont faites par Saint Gobain, les petits moteurs sont montés chez divers sous-traitants européens, le processus de cataphorèse est réalisé en France, par des sociétés comme Heuliez, les découpes de tôles, plastiques, sont également faites en France, par des entreprises comme France-Outillage Prototype. Les pneus et autres gommes sont sous-traitées à Michelin, quant aux moteurs, ils sont conçus par PSA. Bien sûr il y a des pièces ou des matériaux qui sont importés. Mais la conception d'une automobile, du design jusqu'à la production en série, implique très, très lourdement l'industrie française dans sa globalité, contrairement à ce que tu laisses entendre. Je t'invite, plutôt que de soulever le capot de ta voiture, à aller constater sur place, dans une usine automobile ou chez un équipementier, le travail qui est fait. On est très très loin de sous-traiter la fabrication des voitures en Asie, par exemple.
Donc non, mon exemple n'est pas mal choisi. Par contre ta remarque est absolument non fondée.
Les francais ont peut ètre mauvaise réputation, mais après tout pourquoi s'arrété a la réputation?
Des francais ouvert ca existe !!! Tu en veux le preuve? relis ton poste...
Où me suis-je arrêté à la réputation ? Nulle part. Où ai-je prétendu que les français (et américains, d'ailleurs) ouverts d'esprit n'existaient pas ? nulle part. C'est toi asa qui devrait me relire :)
C'était juste pour appuyer tes dires, arf dsl j'ai pas assez de caféine dans mon sang, mon cerveau par en vrille, faut pas faire attention lol.
Après tout chui qu'un asa !!!
t'as l'air tendu manu...
Oui, c'est vrai ça, t'as l'air tendu. En tous cas, joli post, aucune contradiction à relever ;o)
Le rêve américain, on l'a tous un peu je crois, comme d'autres fantasmes, vivre une vie saine à la campagne, dévorer de la culture à la ville, retrouver le berceau de la civilisation en Egypte ou voir la Terre d'avant les hommes dans les paysages d'Islande. Les archétypes à propos des pays et des cultures, c'est à la fois vrai et faux, comme des caricatures.
Je ne suis pas hantée par le rêve américain, et je me soucis assez peu finalement du brouhaha de ces derniers temps sur l'opposition France/USA, mais New York.. ah, New York ! Rien que d'imaginer mettre les pieds dans cette ville me réjouit, j'espère oui que tu vas rapporter plein de photos et que tu les commenteras en ligne :-)
Je vais moi-même à New-York fin août. J'y ai déjà été plusieurs fois mais c'est une ville fascinante, tu verras. Et j'y vais sans aucune appréhension sur l'accueil qui me sera fait. Pour avoir été de nombreuses fois aux Etats Unis je peux dire qu'il y a pas mal de préjugés de ce coté-ci de l'Atlantique. Mais bien sûr les idées reçues sur "les autres" courrent des deux cotés de l'océan. Merci pour ce post sensible et intelligent.
juste un tout petit message, je pars chez la manucure...
au cas ou ca interesserait, je suis bien arrivee et je me refait petit a petit aux claviers qwerty.
j'ai juste un petit probleme avec mes mails aue je n'arrive pas a envoyer je crois,
Bref tout ca pour dire, aue j'ai eu peur avec le lien, mais comme c'est moi petite je suis rassuree.
Perrine, je crois que tu peux faire les accents avec un clavier qwerty sous windows, même s'il n'a pas de touche bascule "Compose". Par contre je sais pas trop comment, mais ce n'est pas infaisable. Au pire tu as le code ASCII étendu. Par exemple, Alt-144 (pavé numérique) fait un 'É', etc. Mais il doit y avoir des moyens pratiques de faire des 'é', des 'à', et même des 'ñ' et des '¿'.
Sinon j'espère que ça se passe bien...