Il est 9h30, et je suis dans la salle d'attente. Ce qui veut dire que je me suis levé en plein milieu de la nuit - 8h15. Je regarde la fiche que je dois remplir, incrédule. Non je ne suis pas encore enceinte, je suis un peu jeune. La dernière fois que j'ai vu un médecin ? Ouh là... Je devais être jeune, encore, je n'ai donc pas noté ça sur mon petit carnet. D'ailleurs je n'ai pas de petit carnet. Est-ce que je fais des allergies ? Oui, aux salles d'attente, mais sinon ça va merci. Ah oui si, aux fraises. Ah... galère. Bon. J'entoure une batterie de NON, et je signe.

Elle arrive, me prend gentiment la fiche des mains, et j'entre dans la salle toute blanche. On cause deux minutes, et je m'allonge sur la chaise en essayant de ne pas la confondre avec le lit que je viens de quitter.

Le moment fatidique est arrivé, on me demande d'ouvrir la bouche. Je tremble, et j'ai peur que mes amygdales foutent le camp. Elle jette un oeil, et vu sa tête, ça n'a pas l'air gagné. Je vois des fraises tourner partout. Peut-être que je suis enceinte en fait. Regard de travers - toujours cet air effrayé sur le visage de la dame. J'ai quoi dans la bouche madame dites ?

- Tes dents de sagesses sont sorties. Mais alors, elles sont complètement perdues...

Perdues ? Mais non, je les sens, elles sont bien là pourtant. Peut-être qu'elle veut dire qu'elles ont poussé un peu n'importe comment. Moui, ça doit être ça. Je vois bien ça dans ma tête maintenant. Bon, rien de grave alors ?

- En attendant les radios, je vais détartrer un peu devant. Ah. T'as pas beaucoup de tartre...

Ben non, j'utilise calgon tous les matins. Enfin bon. On dit que les bonnes dents s'entartrent, c'est un mécanisme naturel de défense. J'ai toujours été une quiche en auto-défense. Mes dents ne doivent pas faire exception.

Les radios arrivent. Elle a toujours l'air effrayée. Alors quoi, j'ai un cancer des dents ? Dites-le moi, je vous en prie ! Je savais déjà qu'elles étaient de travers, mais vous savez, on fini par s'y attacher à ses dents, alors quoi ? Il faut m'emputer ?

- Je sais pas si on va arriver à les sauver ces deux là...

Ces deux là, ce sont des molaires. Enfin c'étaient. Là, ce sont juste deux grosses tâches noires sur une radio. Soulignées par un trait gris. Le nerf, apparemment. Bien sûr, je n'ai pas besoin de poser la question, ça se voit sur mon visage : autant je sais les écouter, autant je n'ai jamais appris à lire une radio.

- Les tâches noires, là, ce sont des caries, et j'en ai rarement vu d'aussi grosses.

J'aurais juré que c'étaient mes dents, encore ce matin, en les brossant. Kasparov, si tu m'entends...