avril 23, 2003
[lunarchie] de l'importance des symboles
note aux lecteurs: attention, c'est (inhabituellement) très très long, et fatigant à lire. Imaginez le calvaire que furent mes six relectures. Je n'aime pas le concept d'extended entry, donc ca sera un gros pavé. Dans la mare de mon blog mornement technique, de l'avis de certains. zou, c'est parti.
L'une des choses les plus aisées en ce monde consiste à critiquer. Durement, sèchement, sans argumenter beaucoup. C'est un peu ce à quoi me fait penser le post inhabituel de lunar, pronant l'autogestion en descendant les symboles mis en place par la République. Je ne trouve pas l'autogestion stupide, on en a déjà discuté ensemble avec lu. Mais c'est complètement inadapté à la société actuelle, je le maintiens. Je vais donc essayer de développer des idées, mes idées, qui pourront vous paraître un peu réductrices et bornées, à la première lecture. Mais ce genre d'idées est nécessaire, je pense, pour créer ou alimenter un débat digne de ce nom.
Aujourd'hui, on dit que la politique et les politiciens se sont éloignés du peuple et des réalités, et que les racines de la Démocratie ne sont plus le peuple, mais la démonstration. Détournement douteux du préfixe étymologique, vous en conviendrez, mais ce n'est pas moi qui l'opère. Dans le même temps, il ne vient à l'idée de personne que peut-être, c'est parce que les gens, le peuple, se détachent complètement de la gestion de l'Etat que l'on en arrive à une telle situation. On confie aveuglément le pouvoir à la gauche, à la droite, au centre. On refuse en bloc les extrêmes. Ou plutôt de l'extrême, car c'est bien connu, l'extrême gauche irréfléchie et démesurée n'existe pas en France (et non, relisez-moi, je n'ai pas classé d'un coup tous les mouvements se revendiquant d'extrême gauche dans le même panier). Aucune réflexion n'est lancée, n'est soutenue. On ne réfléchi pas, on suit des clichés énormes. Renvoie-t-on 50 sans-papiers dans leur pays d'origine ? C'est un scandale. Pourquoi ? parce que ce sont des méthodes de l'extrême (droite). En revanche, dès qu'il s'agit d'actes civils, ceux-là mêmes par lesquels le mot démocratie peut prendre son sens, on les boude, on les rejette, pire, on les ignore. Le Français est une antithèse. Le Français boude les urnes et empli la rue. C'est le monde à l'envers. Car enfin, un ensemble de personnes en arrivant à déambuler dans la rue sous les drapeaux (vous savez, ces banderoles bariolées. Elles me font penser à de multiples drapeaux), hurlant, chouinant, pleurant, ou riant (car tous les manifestants ne sont pas tristes), un tel ensemble donc ne peut naître que d'un problème profond. Avant de prendre les armes (les drapeaux, donc), on essaie de discuter, de penser, de réfléchir et de construire entre gens raisonnables. Habituellement. Mais là non, on descend dans la rue, c'est plus ludique, ca permet aux étudiants d'arrêter de travailler, aux autres de se vider de leur mécontentement et de se donner une conscience politique. On est content, on a agi pour la France, on a dit ce qu'on avait à dire, en masse, les gens nous ont entendu. Si ce point de vue se défend dans certains cas, la plupart du temps, manifester est quasi inutile, autant pisser dans un violon. Parce que, depuis quarante ans, la manifestation est la seule expression du peuple, le piston qui permet de libérer la pression. Ca finit par retomber, tout le monde le sait, et il est facile de calmer une foule en colère avec de petites mesures débiles (prenez ici le sens étymologique de débile, ca vous fera réviser, sinon votre latin, disons... votre espagnol, tiens !). Six mois plus tard, le problème réapparaîtra, sous un autre angle, mais personne ne l'aura résolu, et personne, surtout, n'aura évoqué l'esquisse d'une solution.
Je résume, parce que je sens que je vous embrouille avec mes phrases :
Les gens ne s'impliquent plus politiquement. La "caste" politique est noyautée. Les gens expriment leur mécontentement en manifestant plutôt qu'en se réimpliquant dans la vie politique pour mettre fin à la "caste". Ladite "caste" calme la foule, qui ne s'implique donc pas. La boucle est bouclée. Et tout le monde repart avec une conscience nickel.
Pour moi ça ne fonctionne pas. C'est pour cela que je ne manifeste pas, ou du moins, pas comme cela. Aujourd'hui, la "caste" politique que j'évoque est tant contrôlée par les hommes politiques que par les syndicalistes. Les uns comme les autres mènent un jeu infernal, c'est à qui se tirera le plus dans les pattes. Je suis moyennement bien placé pour en parler, n'étant ni syndicaliste (Dieu m'en garde), ni politique (Dieu ne fait pas de politique non plus) (à force de placer des Dieu partout, vous allez finir par me prendre pour un bigot, fanatique de Georges Bush, priant pour votre salut. Vous n'êtes pas loin, mais en fait... euh... non, vous n'y êtes pas du tout). Mais tout de même, j'en ai eu un petit aperçu quand mon père a eu affaire avec les syndicats (non, pas un aperçu de Dieu, un aperçu du problème). Quand les uns tirent à gauche, les autres forcent à droite. Il n'y a pas de dialogue, mais une lutte permanente. Excusez-moi de dire que l'on court, à moyen terme, à la catastrophe. Le dialogue est devenu absent.
Je suis parti loin, très loin, sans que vous puissiez cerner le moindre rapport avec le message de lu'. Ce qui me choque donc, dans le message de lu', c'est que, d'une façon ou d'une autre, il cautionne énormément les mouvements manifestants pour arriver à un résultat, alors que je n'en voit aucun concret, comme je viens de le dire. Bien sûr je me trompe, et bien sûr, manifester à 50000 contre la guerre a des répercussions, aussi minimes soient-elles, sur notre planète. Ca n'est pas réellement de ces manifestations là que je parle. Non je parlais de politique. Non étrangère. Bush ne fait d'ailleurs pas de politique, ca se saurait. Il pratique l'évangélisation, tout au plus. Chacun son évangile, voilà tout, nous sommes en face des nouvelles guerres de religion. Non ce que je reproche à lu, c'est son attitude destructrice. Mettre de la couleur sur une statue peut m'amuser. Je l'ai d'ailleurs fait quand j'étais jeune, sur une oeuvre d'art à peu prêt aussi élégante qu'un rejet de mamooth du néolitique au beau milieu d'une gallerie de porcelaine fine, place labatte, à Bressuire. Bon, nous étions une grosse centaine à enrouler joyeusement, et sous la pluie, des tonnes de papier hygiénique autour de ladite oeuvre d'art, voyez, moi aussi j'ai eu mes heures artistiques de rébellion. La couleur, donc, ne me choque pas. En revanche, c'est le geste qui me parait délibérément idiot. Quand on se bat contre un mouvement, on fait bien attention de ne pas se tirer dans le pied pour lui donner l'avantage. Et quand on se bat contre le front national, à mon sens, la bonne façon de procéder, c'est de convaincre les gens qui soutiennent ce parti qu'ils se trompent. Que notre France n'est pas si pourrie que ça, si peu sûre qu'elle n'en a l'air. Que les tags que l'on voit sur les métros ne sont que l'expression d'un malaise qu'il faut résoudre ensemble, et autrement qu'en réduisant l'ensemble en question. Ces gens voient dans les dégradations générées par les manifestants un signe qu'ils ont raison. Ces dégradations poussent d'autres personnes à réfléchir à la situation, et éventuellement, leur fait se dire que oui, il y a un problème, et que oui, le front national apporte des solutions qui, si elles ne sont pas magiques, auront le bon goût d'exister. Une manifestation de deuil national, silencieuse, respectueuse, avec des mots forts aux bons endroits, avec des phrases calmes, posées, est à mon sens mille fois plus efficace. Une manifestation personnelle, le lancement d'un débat entre amis, en famille, entre collègue, fait bien plus avancer les choses que d'aller tabasser les symbole de cette Nation sur laquelle on se met à "chier".
Chier partout est très primitif. Même si ce n'est qu'une image, elle me déplait vraiment. L'anarchisme, l'autogestion, ne sont possibles, si on les envisage, qu'après une grosse phase préparatoire. Phase qui me semble à moi impossible, mais chacun son lot de réflexion sur le sujet, cette hypothèse n'engage que moi. Pour y avoir réfléchi beaucoup en quelques mois, celà dit, je ne vois pas comment, en niant tous les symboles fédérateurs d'une nation, on peut arriver à rendre les gens plus heureux. Cette nation a peut-être des aspects pénibles, lourds, et ultra patriotiques. Quoique. Mais elle apporte une structure nécessaire à toute évolution. Cette structure est meuble, parce que nous, tous, pouvons la faire changer si nous le souhaitons. Encore une fois, ce n'est qu'une histoire de motivation, d'investissement, et de courage. Une autre structure, plus chaotique, ne ferait, selon moi, qu'accroitre le danger de voir arriver au pouvoir une véritable mafia. Dès lors qu'elle serait installée, je vous laisse imaginer la difficulté de revenir en arrière. Vous me répondrez, très justement, que la mafia est déjà là. Oui, mais rien n'est encore perdu, parce que nous avons encore du contrôle sur cette mafia. Parce qu'elle est divisée, au moins en deux parti(e)s distinct(e)s.
Si tout le monde est, humainement parlant, sur un pied d'égalité, nous devons tous pouvoir évoluer dans un contexte égalitaire. La république, tant décriée, apporte quelques-uns des piliers de cette égalité : l'enseignement, à travers sa laïcité, sa gratuité, et son homogénéïté. La langue officielle, qu'on a tendance à mutiler avec les années et les disparités, et qui reste néanmoins nécessaire à la cohésion globale du pays, et par conséquent à l'égalité de ses membres. Des lois, très décriées pour certaines, qui évitent qu'un ensemble d'individus ne brise l'égalité des citoyens en faisant ce que bon leur semble. Une constitution, enfin. La marianne ou le drapeau ne sont là que pour évoquer tous ces piliers. Pour les rappeler à tous, et pour les promouvoir à l'extérieur. Dire que le patriotisme tue la France serait largement exagérer. Dire que le manque de patriotisme, ou plus exactement de ce que j'appelerai le manque de confiance et de crédit dans notre pays, tue la France, me semble moins contestable.
No border. Bien. No leader alors. Parce que si c'est pour se retrouver en Busherie, non merci, j'en ai assez en bas de chez moi. Si c'est pour se retrouver aux Emirats Arabes Unis, non merci, sans façon. Si c'est pour mourir dans le silence d'une rafle au Tibet, sans moi. Si c'est pour étouffer de pneumopathie atypique camouflée en Chine, très peu pour ma pomme également. Pour moi tout ca n'est qu'une utopie. Je suis bien trop pragmatique et cartésien, me diront certains. Beaucoup trop douce France, me répondront d'autres. En attendant, je suis bien là où je suis. Malgré les impôts qui me semblent, maintenant que j'en paye, incroyablement élevés, malgré le sale climat qui règne dans les banlieues en feu, malgré les lois stupides visant à protéger l'économie numérique. Malgré les syndicats, malgré les patrons, malgré Arlette, malgré Jean-Marie, malgré les faux-culs, malgré les chaotiques, malgré les déviants et malgré tout. No border ne m'intéresse pas plus que de connaitre les paroles de l'internationale. Mon no border à moi se résume à du CSS. Mon leader à moi est DPL. Mon monde à moi est déjà libre. Et mon combat de tous les jours consiste à garder ma liberté. De respirer. Et de vous faire tourner en rond dans des phrases interminables. Je tiens à ma langue autant qu'à mon appartenance à la France. Je pourrais me passer de mon appartenance à la capitale, et j'échangerais même volontiers pour une place en Bretagne. A Nantes, en fait. Mais voilà tout. Le 21 Avril, idéalement, aurait dû faire réfléchir plus de monde. On devrait voir fleurir, plutôt que de sombres commémorations d'un évènement certain, de multiples idées pour changer les choses. Mais notre jeunesse post-soixante-huitarde se cantone à la plainte, à la complaisance, et à l'inaction. Encore une fois, c'est ce qui me fait admirer Lunar, même s'il rêve d'un autre monde que le mien. C'est ce qui me fait aller voter, aussi, et soutenir ma maman dans ses débuts en politique. Je devrais appeler ca déniaisement (dans le bon sens du terme), ou expulsion de sa naïveté naturelle. Elle ne se veut pas politique, mais conseillère municipale soucieuse de promouvoir la culture par le biais de la bibliothèque de sa bourgade. Mais elle fait bouger les choses, localement, et ca a, ou aura, un impact sur le reste. Fût-il minime. Quant à moi, je suis encore loin de faire de la politique. Je me trouve un peu dans le même état d'esprit que Solveig, par moments. A défaut, donc, j'écris. Je vous écris. Et j'attends bien que vous écriviez en retour, histoire de faire grandir et mûrir le débat. Sur ce, bonne nuit à tous, je dois aller cliquer sur next, encore une fois. J'ai une installation d'office à terminer, moi, messieurs. Et des virus à chasser. Une jolie cochonnerie, tiens, une sacrée boucherie...
note lunienne: penser à vous parler du DPL. Ca devient urgent tellement il est bien, celui-là.
Bon d'accord c'était long et sérieux, mais ça vallait la peine de te lire, aujourd'hui! Je suis pas parfaitement d'accord avec toi, mais j'apprécie tes idées. Promis je participerai au débat, mais ce soir parce que je vais manger. A +
En un seul mot: chapeau. Je suis terriblement satisfait de constater qu'il reste encore des gens qui réfléchissent par eux-mêmes plutôt que de se laisser manipuler en adoptant des opinions préconçues et enrobées de papier cadeau, surtout que tu fais encore partie de la catégorie "les jeunes".
Félicitations aussi pour la qualité de la rédaction. Tenir un tel discours (qui n'a pas hésité à mettre le doigt sur certains sujets sensibles) n'est pas évident, et les auteurs se retrouvent en général vite catalogués en extrémistes.
Je n'ai pas trouvé de point de désaccord pendant la lecture, même si je reste persuadé que chaque élément peut être débattu.
Ben alors kiwi, tu te rends compte que t'es positif, là?
Combien de fois devrai-je le répéter: Kiwi a été désincarné de force. Il n'est plus là.
- Go away and never come back!
- [Pas de réponse]
choisir le monde du libre, c'est un choix politique pour pas mal de
gens. Mais je trouve que de plus en plus, les gens ne defendent plus
leurs idees par la politique mais leurs interets. A mon sens, il n'y a
plus vraiment de politique... tout a ete remplace par une economie. Et
je crois, enfin en tout cas je ressens ca, que le libre informatique
pourrait apprendre beaucoup de choses aux gens. C'est bosser avec plein
de gens et aussi avoir le meme statut pour une chose: un ideal.
je retrouve pas un combat ideologique dans la politique aujourd'hui.
Moi je sais, il s'est caché dans ton blog! Le Kiwi ne meurt jamais. Na!