De retour chez Fye après une journée mouvementée. Je m'apperçois avec terreur que j'avais jusqu'ici raté un étage. En un souffle et quinze marches, les quatre petits rayonnages de CD en seconde main se transforment en supermarché, et un heureux hasard veut qu'aujourd'hui, pour 3 CD achetés, le 4ème est gratuit. C'est donc allégé d'une vingtaine de dollars que je quitte le magasin. A ce prix là, c'est facile d'acheter n'importe quoi, comme un best of d'Alice in Chains. Ou un collector, comme l'introuvable album de Nick Cave - celui sur lequel il chante Long Time man, reprise par Noir Désir sur Dies Irae, et supposément trouvée sur les bords d'un fleuve un peu douteux (et contrairement à ce que dit Cantat, on sait parfaitement d'où vient la chanson, puisque c'est une reprise d'un artiste maudit, Tim Rose).

A ce prix là toujours, on peut être tenté de découvrir une artiste au hasard, comme Poe. Mais tout ça est fort respectable. Car vient ensuite Genesis. We Can't Dance. C'est honteux, bien entendu, mais vraiment, je voulais voir si ça marchait encore et j'ai donc cédé sans hésiter (et puis quoi, il était gratuit ce CD de toutes façons). Etonnamment, ça n'a pas manqué. Chaque chanson de cet album me transporte toujours dans un bus à double étage rouge, sous le soleil du mois de juin, du côté de Southampton. D'habitude ça m'arrive dans les ascenseurs ou dans les superettes, qui sont les seuls lieux à encore diffuser Genesis à un volume audible, mais j'ai la preuve désormais que ça marche aussi dans une Pontiac ou sous une couette.

Au Phil du son (ah ah) reviennent donc mes premiers pas en Angleterre, ma première semaine sans parents, et mes premiers mots maladroits dans une langue qui n'est pas la mienne. Ça a l'air évident comme ça, mais il ne faut jamais dire à une fille qu'elle est "boring", ou alors il faut prier pour qu'elle réalise que vous ne pensiez pas employer un terme aussi violent. J'entends encore sa mère lui expliquer que je ne sais pas ce que je dis, et avec le recul, je comprends mieux pourquoi elle ne m'a jamais écrit, Jodie. Mais c'est pas grave, j'avais déjà assez de mal à répondre à toutes ses copines. Bref, Genesis, c'est aussi la première fois que j'ai eu l'autorisation d'écouter un walkman, qui n'était pas le mien. C'est ma première et dernière cassette audio importée, et en bon maniaque, j'en ai pris grand soin - l'étiquette est encore dessus. Ce sont également des heures passées à apprendre comment le livret contenant les paroles était plié, afin de pouvoir le ranger à l'identique à chaque fois.

Bref, contre toute attente, j'ai encore fait des petits bons dans le passé. Si ça continue je vais me remettre à écouter Queen. Remarque maintenant que j'y pense, un CD de Genesis dans un autoradio, y'a des chances que ça se transforme en Queen assez vite. Mais l'un dans l'autre, j'ai du bol, mes parents ne m'ont jamais acheté d'album d'Henri Dès, je ne peux donc pas régresser au delà de Dire Straits. A condition que je passe sous silence la compagnie créole, ce que je fais donc immédiatement et sans négociation possible - personne n'a rien entendu. Non Google, nooooooon. Soupir. Je suis démasqué (ohé ohé).

Je ne sais plus trop où je voulais en venir en commençant, comme ça arrive souvent après dix réécritures et trois verres de vin. Mais si je devais conclure maintenant par autre chose qu'un baillement et une aspirine, ça serait avec un truc du genre Hold on my heart. Parce qu'après tout, il me reste exactement huit jours à le supporter, neuf pour profiter de l'American weight of life, et six jours de boulot pour l'empereur. Après quoi, pour une fois, écrire un rapport sera d'un rare réconfort. En attendant, je me détends en écoutant un chauve chanter que Jésus le connait et qu'il ne sait pas danser. Je ferais peut-être mieux de me coucher, en fait.

Fading lights