Fye, c'est le mal absolu.Et je ne dis pas ça parce que c'est à 100m de chez Fred Meyer. Chez Fye, on vend des CD, et rien que ça devrait être puni de crime fédéral contre l'humanité désargentée tant que je suis sur le sol des États-Unis. Mais il y a pire : ils vendent des CD d'occasion. Là, vous pouvez imaginer les larmes qui coulent de mes yeux - je suis un hypersensible, et voir des CD à $3, ça m'émeut.

L'autre jour, plutôt que de me mettre à chialer dans le magasin, je me suis décidé à sauver quelques exemplaires. C'est comme ça que je me suis retrouvé à acheter de la musique de vieux shnock (Eric Clapton), de vieux soixante-huitard (Pink Floyd), et de vieux tout court (7 CD de classique). Et encore, j'ai zappé White on Blonde, sous prétexte que non décidément, je ne pouvais pas acheter un album de Texas avant d'avoir trente ans. Comme quoi certains principes ont la peau plus dure que d'autres (ouais je sais, Clapton, j'ai honte).

Ayant religieusement encodé tout ce petit monde, c'est au beau milieu d'un fichier de 32517 lignes de pur bonheur en barre que je suis pris au dépourvu. Sur le coup, je ne peux pas regarder le ciel à ce moment là, n'ayant pas le loisir d'avoir de fenêtre dans mon bureau, mais je suis sûr qu'il s'est méchamment déchiré car me voilà propulsé à l'avant d'une Citroën Evasion, en train d'apprendre à conduire, pestant contre le paternel et sa musique pourrie, tout en notant secrètement le titre de la chanson pour me la passer ensuite en boucle toutes les nuits pendant deux semaines. Pink Floyd, High Hopes.

Je me demande alors pourquoi cette chanson me perturbe comme ça. Je n'ai pas l'habitude de faire des bonds dans le passé, j'aime pas trop ça. Y'a un truc louche. Je trouve la réponse en rejouant le morceau : c'est pas de la nostalgie, c'est les cloches. Vous trouvez ça con hein ? Moi aussi, mais c'est indéniablement ça. Passez-la vous, vous allez voir. Ca commence avec les cloches, justement, très loin, on se croirait à une sortie de mariage. Y'en a une qui se détache quasi tout de suite du lot, et on commence à peine à focaliser dessus qu'elle se trouve complétée de notes aiguës de piano. Le rythme est lancé, un son de cloche, deux notes de piano - un son de cloche, deux notes un ton au dessus - un son de cloche, deux notes plus graves que les deux premières - un son de cloche... un silence. Et on reprend, un ton en dessous pour l'ensemble, sauf cette cloche hypnotique qui continue en trame de fond tout le long de la chanson. S'ajoutent les instruments, la voix, mais tout ramène toujours à cet unique son. C'est beau, et on voudrait que ça ne s'arrête jamais. Ce qui est bien vache, parce que c'est la dernière piste du CD, et malgré ses huit minutes trente-deux, le silence qui suit est pesant.

Je cherche à rationaliser, me dis que c'est mon éducation chrétienne qui refait surface. Ça me travaille, c'est sûr. Et en plein milieu de ma boucle introspective, je fais un deuxième bond dans le passé (sale bête). Je me revois monter le son de ma chaine pour couvrir les Beatles qui polluent l'espace deux pièces plus loin. Je hais les Beatles, et j'ai un point commun avec le type qui entame Hells Bells : on a la même voix fêlée partant en vrille dans les aigus. Je sursaute. Faut que j'arrête les flashbacks, ça va me rendre dingue. Mais quand même, si on y réfléchi, je tiens un truc: même introduction en crescendo, truc bizarre dans le ventre, et rebelotte les cloches. Et meeeeeeeeerde.

Je vire le casque et sirote mon café. Je ferme les yeux, et je retrouve le sourire. J'ai peut-être vendu mon âme pour un CD de pink floyd et une chanson d'AC/DC - et encore, ça fait pas cher du kilo d'âme - mais cloches ou pas cloches, aux douze prochains coups de minuit, hors de question de replonger dans l'adolescence. Je veux m'endormir en me projetant dans l'avenir. En me lovant dans ses bras. Et ça vaudra bien toute la musique du monde.